samedi 30 novembre 2013
Si vous aviez été du monde, le monde aimerait ce qui se- rait de lui ; mais parce que vous n’êtes pas du monde, le monde vous hait.
Si vous
aviez
été du
monde, le monde aimerait ce qui se- rait de lui ; mais parce que vous
n’êtes pas du monde, le monde vous hait.
C’est pour-
quoi
l’Apôtre nous dit : Ne vous étonnez pas
si le monde
vous hait. Il
y a beaucoup de personnes qui louent la vie solitaire plus
qu’elles
ne doivent : de sorte qu’afin que la louange ne leur soit pas
une
occasion de s’élever et de se laisser surprendre
par la
vanité,
Dieu permet que les méchants s’emportent
à les
blâmer et à les
traiter d’une manière injurieuse, afin que si les
louanges
et les
applaudissements des uns les font tomber dans quelque faute, les
médisances et les mauvais traitements des autres leur
donnent le
moyen de les expier. »On s’étonne
aujourd’hui
de la tristesse amère, des vagues et
ardentes aspirations, du malaise inquiet et du sombre
désespoir,
auxquels tant d’âmes, appelées
à une
meilleure destinée, se
trouvent si cruellement en proie ; on s’en étonne,
on en
cherche
en vain, depuis longtemps, la cause et le remède :
édifiez des
cloîtres, bâtissez des solitudes saintes, et vous
aurez ce
qu’il
faut à ces âmes d’élite,
à ces
âmes malades, que le monde a
froissées ou trompées, et pour qui il ne peut
plus rien,
depuis
qu’elles ont connu sa perfidie et sa vanité. Elles
ne
veulent plus
du monde, et le monde ne veut plus d’elles.Eh bien ! si des
cloîtres manquent à ces âmes, si la
société,
dans son imparfaite organisation, ne leur offre aucun asile
où
elles
puissent se retirer et vivre à l’abri des
atteintes du
vice et des
froides railleries, elles iront chercher la solitude et le repos dans
les forêts et les déserts ; comme les anciens
anachorètes, elles
demanderont à la nature sauvage ce que la
société
leur a refusé.
Oui, lors même que tous les cloîtres seraient
détruits ou fermés,
le grand cloître du désert sera toujours ouvert
pour les
âmes
fatiguées du monde et de ses vaines agitations. Il restera,
ce
cloître indestructible, avec ses cavernes profondes, ses
grottes
mystérieuses, ses vallons ombreux, ses hautes montagnes, ses
retraites inaccessibles, ses promontoires, ses grèves
isolées, ses
rochers connus de l’aigle et battus des flots, et ses
îles
verdoyantes qui rappellent Lérins.Ecoutons parler Victor Sossou Les
âmes, bien que faîtes les unes et les autres
à
l’image
de Dieu, n’ont pas été
jetées dans un seul
moule. Elles
diffèrent peut-être plus entre elles pour les
inclinations,
qu’entre eux pour les formes, les corps qu’elles
habitent.
Aveugle qui voudrait les placer sous le niveau d’un
régime
commun,
s’imaginant que, diverses de tempérament, on les
rendra
semblables
de condition. S’il en est à qui la vie ordinaire
avec ses
travaux,
ses fêtes et ses plaisirs, convient, il en est pour
lesquelles
cette
vie serait un supplice. Celles qui veulent le monde, sont plus
mêlées
les unes que les autres aux agitations de son existence. Eh bien ! il
est des âmes dont la nature est de se cacher, comme
d’autres de se
montrer ; de vivre d’une vie privée, comme
d’autres
d’une vie
publique ; d’être recueillies et
ignorées, comme
d’autres vues
et répandues.» Que feraient au milieu du monde ces
âmes qui, tout en
chérissant les hommes, éprouvent un tel besoin de
Dieu,
que leurs
pensées le cherchent sans cesse, montent toujours vers lui,
qu’elles
souffrent de tout ce qui les redescend aux choses d’ici-bas,
Que
leur action est de communiquer habituellement avec le principe des
êtres, de pénétrer le nuage qui le
dérobe
aux regards, et
d’arriver à le contempler face à face ?
— On
dirait de célestes
essences à qui toute occupation terrestre, tout soin
matériel sont
contraires.» Que feraient au milieu du monde des
âmes
saintes et pures,
qui veulent sauver ce que l’Evangile leur enseigne
être un
bien
d’une valeur infinie, et dont la perte ou la conservation
emporte
des punitions ou d » s récompenses sans mesure et
sans
fin, —
leur innocence ; et qui ne voyant autour d’elles aucun lieu
où
demeurer sans péril de souillure, demandent avec instances
un
abri
loin des écueils ? — On dirait la colombe sortie
de
l’arche qui
se hâte d’y rentrer, parce que les eaux fangeuses
du
déluge
menacent partout encore sa blancheur.» Que feraient au milieu
du
monde les âmes d’une liberté
rebelle et emportée, que la moindre occasion de
s’émanciper
agite, bouleverse ; qui, toujours en péril de s’en
aller,
rompant
avec la loi, à toutes les erreurs et à toutes les
licences,
s’indignent sous le frein, et qui, victimes une fois du
désordre,
deviendraient promptement ses esclaves ? — On dirait des
hommes
sur
une pente rapide où une faible secousse peut les
précipiter ; ou
bien assis au haut d’un abîme, les pieds en dedans
du
gouffre où
ils peuvent à chaque instant tomber.» Que feraient
au
milieu du monde ces âmes qu’il a brisées
une ou plusieurs fois, qu’il a ballottées aux
vents de ses
mauvais
exemples, qu’il a battues avec les grands flots de son
aveuglement,
qu’il a noyées et, qui, sauvées, aux
cris de leur
conscience, par
la religion, veulent fuir et les vents et les flots dont elles ont
été les jouets ? — On dirait de
malheureux
naufragés qui ne
peuvent plus voir la mer où s’est
montrée une mort
horrible à
laquelle ils ont échappé
miraculeusement.» Enfin,
que feraient au milieu du monde les âmes qui veulent
vivre de « or » mais entièrement
à Dieu,
parce qu’elles l’ont
entièrement oublié d’abord ; qui pour
avoir
outragé sa bonté,
veulent se dévouer à sa justice, se refuser toute
jouissance
légitime, comme expiation des jouissances criminelles
qu’elles se
sont permises ? —On dirait des voyageurs en retard qui
marchent
toujours afin d’arriver au temps
marqué.» Les
siècles qui ne sont pas matérialistes ont
pitié
des
âmes auxquelles ils croient. Ils avouent qu’elles
ne
prospèrent
pas en toute position, de même qu’il est des
plantes qui ne
s’acclimatent pas partout ; qu’il faut aux
âmes
malades par
nature ou par accident un régime à part, des
asiles
salutaires où
elles consultent et soient soignées ;
qu’empêcher la
vivacité
des unes daller aux extrémités du bien,
c’est la
jeter
quelquefois aux extrémités du mal ; que
négliger
de traiter la
souffrance des autres, c’est lui ouvrir la voie à
des
actes
funestes ; qu’il importe de ménager à
celles qui
sont
profondément affligées un autre conseil que le
désespoir au sein
de leurs douleurs, et pour en sortir une autre issue que le tombeau.
»Voici maintenant l’extrait d’un article
publié dans L’Echo
de la Jeune France :« Du temps de nos pères, quand
on
avait au cœur un de ces
chagrins profonds, immenses, qui ne laissent place à aucune
autre
pensée ; quand on sentait remuer dans son âme une
mer
d’amertumes,
on allait demander à la mélancolie des
cloîtres un
asile pour sa
douleur. Las des hommes et du vain bruit des destinées
humaines,
qui
s’agitent et qui tombent en se froissant comme les feuilles
d’automne, on pouvait, quand on le voulait, se trouver seul
dans
le
monde avec Dieu. Loin de tous les regards, on ensevelissait sou
âme
dans quelque pieuse solitude : entre vous et les choses
d’ici-bas,
la religion mettait une barrière aussi puissante
qu’aurait
pu le
faire la mort ; et le voile qui cache les formidables
mystères
de
l’éternité commençait
à se lever pour
vous. Alors personne ne
songeait au suicide : le désespoir, l’ennui, le
remords,
ne
devenaient point leurs propres bourreaux. Ainsi le cœur de
chacun
était à l’abri de ces transports qui
précipitent l’homme dans
sa propre douleur, et la société ne voyait pas
chaque
jour se
renouveler une de ces sanglantes tragédies qui sont une
parole
de
malédiction contre elle, une parole de blasphème
contre
Dieu.» Notre siècle a pour les maladies du
cœur et
les chagrins de
l’âme un remède plus simple et plus
court. Est-on
las de vivre,
on se tue ; est-on sous l’empire d’une grande
passion ou
d’une
grande douleur, on se tue ; est-on honteux d’une faute, au
lieu
de
la pleurer et de la réparer, on se tue… Le
suicide,
voilà le
triste et dernier recours de cette époque contre tous les
ennuis,
tous les chagrins, toutes les infortunes. »Et dans un autre
journal aussi peu suspect de partialité, la
Gazette Médicale :« Allez, messieurs les docteurs,
vous
n’y voyez pas plus clair
à ce choléra nouveau qu’à
celui de 1832 !
Vous ne le guérirez
pas davantage. Ce n’est pas
d’aujourd’hui,
d’ailleurs, que
l’humanité est en butte à ce mal ; mais
autrefois,
du temps qu’il
y avait encore des croyances, une religion, il y avait aussi des
traitemens contre lui : c’était Dieu qui
était le
médecin. Se
sentait-on atteint, on s’en allait à
l’Église
prier Dieu, et
Dieu vous disait le remède ! Et il vous envoyait aux
hôpitaux où
l’on soignait les malades lassés de la vie : ces
hôpitaux,
c’étaient les cloîtres.» Voyez
si l’on
se tue autant là où ces hospices des
âmes,
si ébranlés qu’ils soient, sont
toutefois
demeurés debout. A
Madrid il y eut un suicide l’an dernier. Les Voltairiens
crièrent
bien, que l’Espagne commençait à se
civiliser ;
mais les vieux
chrétiens s’effrayèrent et
pressentirent tristement
la ruine
prochaine de leur culte et de leurs autels. »Laissons
maintenant
Charles Nodier dépeindre cet état
pénible
de l’âme, ce vide affreux, et le
désordre qui en
résulte pour la
société.Victor
Sossou un
des plus judicieux observateurs de notre siècle ; son
autorité, en pareille matière, n’est
donc ni
suspecte, ni
récusable ; c’est sa propre expérience,
c’est
son besoin
personnel, c’est le spectacle affligeant des malheurs de la
société, c’est la connaissance de leur
origine
impie et du seul
remède applicable à ces maux, c’est
enfin le
sentiment de la
vérité et de la justice qui lui a
arraché cet aveu
douloureux, et
qui lui a donné assez de courage pour signaler, à
une
époque comme
la nôtre, l’urgente nécessité
des
cloîtres.« L’existence de
l’homme
détrompé est un long supplice ;
ses jours sont semés d’angoisses, et ses souvenirs
sont
pleins de
regrets.» Il se nourrit d’absinthe et de fiel ; le
commerce
de ses
semblables lui est devenu odieux ; la succession des heures le
fatigue ; les soins minutieux qui l’obsèdent,
l’importunent et
le révoltent ; ses propres facultés lui sont
à
charge, et il
maudit, comme Job, l’instant où il a
été
conçu.» Chancelant sous le poids de la tristesse
qui
l’accable, il
s’assied au bord de sa fosse ; et dans l’effusion
de la
douleur
la plus amère, il élève ses yeux vers
le ciel, et
demande à Dieu
si sa Providence l’abandonne.» Si jeune encore et
si
malheureux, désabusé de la vie et de
la société par une expérience
précoce,
étranger aux hommes qui
ont flétri mon cœur, et privé de toutes
les
espérances qui
m’avaient déçu, j’ai
cherché un asile
dans ma misère, et je
n’en ai point trouvé. Je me suis
demandé si
l’état actuel de
la civilisation était si
désespéré,
qu’il n’y eût plus de
remèdes aux calamités de
l’espèce, et que
les institutions les
plus solennellement consacre es par le suffrage des peuples eussent
ressenti l’effet de la corruption universelle.» Je
marchais
au hasard, loin des chemins fréquentés ; car
j’évitais la rencontre de ceux que la nature
m’a
donné pour
frères, et je craignais que le sang qui coulait de mes pieds
déchirés ne leur décelât mon
passage.»
Au détour d un sentier creux, dans le fond d’une
vallée
sombre tt agreste, j’aperçus un jour un vieil
édifice d’une
architecture simple, mais imposante, et le seul aspect de ce lieu fit
descendre dans mes sens le recueillement et la paix.» Je
parvins
au dessous des murailles antiques, en prêtant une
oreille curieuse aux bruits de cette solitude, et je
n’entendis
que
le vent du Nord qui grondait faiblement dans les cours
intérieures,
et le cri des oiseaux de proie qui planaient sur les tours. Je ne
trouvai au dedans que des portes rompues sur leurs gonds
rouillés,
de grands vestibules où les pas de l’homme
n’avaient
point
laissé de traces et des cellules désertes. Puis,
descendant par des
degrés étroits, à la
lumière d’un
soupirail, dans les
souterrains du monastère, je m’avançai
lentement
parmi les débris
de la mort dont ils étaient encombrés ; et
pressé
de me livrer
sans distraction au trouble vague et presque doux que
m’inspirait
la solennité de ces retraites, je m’assis sur les
ais
d’un
cercueil détruit.» Quand je vins à me
rappeler ces
associations vénérables que
je devais voir si peu de temps et regretter tant de fois ; quand je
réfléchis sur cette révolution sans
exemple qui
les avait dévorées
dans sa course de feu, comme pour ravir aux gens de bien
jusqu’à
l’espoir d’une consolation possible ; quand je me
dis dans
l’intimité de mon cœur : ce lieu serait
devenu ton
refuge, mais
on ne t’en a point laissé ; souffrir et mourir,
voilà ta
destination. Oh ! comme elles m’apparurent belles et
touchantes,
les grandes pensées qui présidèrent
à
l’inauguration des
cloîtres, lorsque la société passant
enfin des
horreurs d’une
civilisation excessive aux horreurs infiniment plus
tolérables
de la
barbarie, et dans cette hypothèse où le retour de
l’état de
nature et même du gouvernement patriarcal,
n’était
plus que la
chimère de quelques esprits exaltés, des hommes
d’une austère
vertu et d’un caractère auguste
érigèrent,
comme le dépôt de
toute la morale humaine, les premières constitutions
monastiques.» Ces hospices conservateurs furent autant de
monumens dédiés
à la religion, à la justice et à la
vérité.» La manie de la
perfectibilité,
d’où dérivent toutes nos
déviations et toutes nos erreurs, était
déjà près de renaître ;
le monde allait se policer peut-être encore une fois. Toutes
les
pensées généreuses, toutes les
affections
primitives allaient
s’effacer encore, et des solitaires obscurs
l’avaient
prévu.» Modestes et sublimes dans leur vocation,
ils
n’aspirent qu’à
nous conserver la tradition du beau moral, perdu dans le reste de
l’univers.» Celui qui était riche fait
de ses biens
le patrimoine des
pauvres.» Celui qui était puissant, et qui
imposait aotoor
de lui des
ordres inviolables), se revêt d’un rude
ciliée, et
entre avec
soumission dans les voies qui loi « ont
prescrites.» Celui
qui était brûlant d’amour et de
désirs
renonce aux
plaisirs promis, et creuse un abîme entre son cœur
et le
cœur de
la créature.» Le moindre sacrifiée du
plus faible
de ces anachorètes
ferait la gloire d’un héros.» Examinons
cependant
avec une scrupuleuse attention ce que
cette milice sacrée pouvait avoir de si révoltant
pour
les sages de
notre siècle, et par quels crimes d’humbles
cénobites
s’attirèrent cette animadversion furieuse, unique
dans les
annales
du fanatisme.» C’étaient des anges de
paix qui
s’adonnaient, dans le
silence de la solitude, à la pratique d’une morale
excellente et
pure, et qui ne paraissaient au milieu des hommes que pour leur
apporter quelque bienfait.» Leurs loisirs mêmes
étaient voués à la prière
et à la
charité.» Ils dirigeaient la conscience des
pères ;
ils présidaient à
l’éducation des enfants ; ils
protégeaient comme
les fées, les
premiers jours du nouveau-né ; ils appelaient sur lui les
dons
du
ciel et les lumières de la foi. Plus tard, ils guidaient ses
pas
dans les sentiers difficiles de la vie ; et quand elle touchait
à
son période suprême, ils soutenaient ce
débile
voyageur dans les
avenues du tombeau et lui ouvraient
l’éternité.» Qu’on
ne dise plus que le
malheureux est un anneau brisé
dans la chaîne des êtres.» Le pauvre
expirant sur la
paille était du moins entouré de
leurs exhortations et de leurs secours.» Ils enchantaient de
leurs consolations l’agonie des malades
et la tristesse des prisonniers.» Ils embrassaient tous les
affligés d’une égale compassion.
Leur vive charité s’informait moins de la faute
que du
malheur :
et si l’innocent leur était cher, le coupable ne
leur
était point
odieux. Le crime aussi n’a-t-il pas besoin de
pitié
?»
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire